Le frelon asiatique ou vespa velutina
Le frelon asiatique Vespa velutina, un nouveau prédateur de l’abeille ?
par Jean Haxaire
Avec l'aimable autorisation de la revue "La Santé de l'Abeille"
Le 1er novembre 2005, Jean Pierre Bouguet récoltait un hyménoptère de grande taille dans son jardin du Lot-et-Garonne sur un fruit de plaqueminier (kaki), dont les fruits pourrissants sont connus pour attirer en automne de nombreux hyménoptères et en particulier des frelons.
Sans être spécialistes des hyménoptères, nous fûmes tout de suite intrigués par la coloration singulière de ce vespide, et convaincu que cet insecte était nouveau pour la faune de France.
Une rapide recherche sur internet devait fournir une première détermination : notre guêpe géante était une Vespa velutina, à vaste aire de distribution couvrant le sud de l’Inde, la Thaïlande, la Chine, le Laos, le Vietnam, la Malaisie, l’Indonésie. Elle n’a jamais été récoltée dans les régions plus occidentales.
L’espèce est signalée comme un redoutable prédateur de l’abeille domestique.
Il est impossible de la confondre avec une autre guêpe de nos contrées. Cette détermination fut confirmée par notre collègue et ami Jean-Yves Rasplus (INRA, Montpellier) qui insista sur l’aspect inquiétant de cette découverte.
Mis au courant et vivement intéressé par la trouvaille, Jean Philippe Tamisier devait rapidement infirmer notre idée d’un insecte isolé en collectant dans des pièges à vin, le 8 mai 2006, trois autres exemplaires de Vespa velutina dans la réserve naturelle de La Mazières, à Villeton, à proximité de la ville de Tonneins (Lot-et-Garonne), soit à 30 km de la première station.
Vespa velutina : ouvrière sur prune. Premier cliché de l’insecte vivant en France, Samazan (47).
(photo Christine et Marie Le Carvennec, juillet 2006)
Le 13 juillet 2006, je publiai une note et demandai, par voie de presse, toute information susceptible de confirmer l'implantation de cette espèce indigène.
Je reçus, dans les deux jours qui suivirent, des centaines d’appels émanant souvent d’agriculteurs mais surtout d’apiculteurs me signalant l’insecte isolé ou des nids, non seulement du Lot-et-Garonne mais aussi des Landes, de Dordogne, de Gironde et même de Charente-Maritime. La carte de répartition de l’espèce qui, au départ, comportait deux points et que je tenais à jour devait rapidement se couvrir de données, et j’en suis maintenant à chercher en Aquitaine les endroits où Vespa velutina ne vole pas encore.
La progression de ce frelon est fulgurante et, en effet, il s’attaque bien à l’abeille domestique comme dans ses pays d’origine.
Nid de Vespa velutina. Bourrant (47).
(photo Jean Haxaire, août 2006)
Résumé de nos connaissances actuelles
Il me semble désormais impossible d'arrêter le vespa velutina et il va falloir vivre avec. Ce frelon, un peu plus petit que notre frelon commun (Vespa crabro) se reconnaît de suite à sa coloration plus sombre, la réduction des plages jaunes sur son abdomen et ses ailes plus fumées. Un excellent critère est cette fine ligne jaune rectiligne qui sépare les deux premiers segments abdominaux (voir photo).
Il bâtit des nids généralement sphériques allant de la taille d’un ballon de hand-ball à un ballon de foot (et même plus). Ces nids peuvent être pendus dans des arbres, mais sont le plus souvent dans des habitations ouvertes (hangars, granges…) au niveau des charpentes. On m’a signalé des nids plus volumineux encore en forme de jambon fumé.
Vespa velutina : premier exemplaire référencé de France collecté lieu-dit Le Long-de-Haut, Nérac (47) par Jean Pierre Bouguet.
(photo Jean Haxaire)
Quels en sont les risques (dans l’état actuel de nos connaissances) ?
Sur l’homme
C’était à mon sens celui qu’il convient d’appréhender avec le plus de sérieux, et nous disposons d’informations certes sommaires, mais passablement rassurantes.
L’insecte ne semble pas spécialement belliqueux, et il est possible d’observer le nid à 4 ou 5 mètres sans attaque. Il faut observer avec cette espèce les mêmes règles de prudence qu’avec tous les hyménoptères sociaux. J’ai eu trois témoignages de piqûres, suite à une tentative de destruction de nid, de captures d’individus ou d’enjambement d’un nid que la personne n’avait pas vu. Les récits divergent, puisque l’un me dit que c’est ni plus ni moins une piqûre de guêpe ordinaire tandis que l’autre me parle d’une très forte douleur (avec certes trois piqûres successives !). à ce stade, on peut dire que l’on ne sait rien de la dangerosité de ce venin, et il faut être très prudent surtout avec des enfants. Le nid dont je fournis un cliché a été photographié au flash sans que les frelons ne s’occupent même de ma présence. Sur cette observation, j’ai trouvé cet insecte moins agressif que notre frelon commun.
Sur les abeilles
Vespa velutina prélève des butineuses. Il les attend en vol stationnaire devant la ruche et fond dessus dès qu’elles rentrent. Durant cette phase d’attente, il est très facile à capturer. Dès qu’il a attrapé une abeille entre ses pattes, il la neutralise (piqûre ?) et l’emporte avec lui probablement dans son nid. M. Vaillant, apiculteur en Gironde, m’a dit qu’il en avait en permanence deux ou trois en poste devant sa ruche. Ce prélèvement est-il suffisant pour indisposer la ruche et la production de miel, cela nous le saurons rapidement. Toujours est-il qu’il posera en France moins de problème qu’en Asie, car la configuration de nos ruches européennes lui interdit l’entrée donc l’attaque du couvain comme il le pratique en Chine. J’ai été heureux de lire dans le Sud Ouest le mot de M. Coudoin, apiculteur à Verteuil-d’Agenais, qui considère que c’est de la rigolade à côté du Gaucho et du Régent. J’espère qu’il a raison.
Sur l’origine de l’invasion
Nous n’en savons rien et toutes les pistes sont ouvertes, même si désormais cela n’a plus grande importance. On pense évidemment à des cargaisons venues de Chine (bois exotique, fruits…). Au vu des appels que j’ai reçus, l’épicentre du problème semble être le Tonneinquais, mais encore une fois, il ne s’agit là que d’une pure spéculation. Je pense pour ma part que l’expansion de l’insecte est cette année d’une telle ampleur que l’introduction date au minimum de 2004, voire avant. L’INRA et le Muséum avaient eu l’an passé quelques signalements de nids de frelons douteux sans que rien ne soit jamais publié à ce sujet. J’ai un peu de mal à admettre qu’une telle invasion soit le fait d’une seule femelle fondatrice et je pense plutôt qu’un nid complet est arrivé sur notre territoire dans un quelconque container.
En résumé...
La bête gagne du terrain avec une telle rapidité que je ne vois absolument pas ce qui pourrait l’empêcher de franchir la frontière espagnole, mais aussi de remonter dans les départements du nord. Mme Claire Villemant, chercheur, responsable des collections d’hyménoptères au Muséum National d’Histoire Naturelle, insiste bien sur le fait qu’il serait déraisonnable et même écologiquement catastrophique de se lancer dans une campagne de destruction de tous les nids d’hyménoptères sociaux type Vespa et Vespula sous prétexte d’arrêter V. velutina. Nous ne pourrons que suivre cette progression en espérant que nos abeilles ou une tout autre espèce de notre faune locale n’en pâtissent pas trop. Mais ça n’est pas la première fois et certainement pas la dernière qu’une espèce étrangère à notre faune progresse ainsi à travers notre pays, parfois sans que personne ne s’en émeuve.
Jean Haxaire
Plus de renseignements ???
http://www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i143villemant-haxaire-streito.pdf
http://inpn.mnhn.fr/fichesEspece/Vespa_velutina_fichiers/Mollet_Torre_2007.pdf